Le marché international des ventes aux enchères est-il devenu un marché financier comme un autre ? On peut vraiment se poser cette question depuis l’introduction sur le marché de l’art d’une nouvelle pratique : le "système des garanties", l’art devenant pour certains un placement spéculatif et un investissement financier comme un autre…

Art Shortlist
par Patrick de Watrigant - 18 février 2020

Le vin et l’art aux mains de spéculateurs

On retrouve cet aspect de spéculation forcenée, dans un autre marché que constitue le marché des vins d’exception : aujourd’hui on n’achète pas des bouteilles de Romanée Conti pour la qualité de leur vin, mais prioritairement pour les posséder. Surtout ne pas les boire et attendre que les prix montent encore, afin de pouvoir les revendre ensuite avec une forte plus-value.

Ainsi, aujourd’hui le marché de l’art international est devenu un nouveau terrain de jeu pour les spéculateurs, qui attirent des financiers peu intéressés par l’art, mais attirés avant tout par d’éventuelles plus-values avec un risque limité grâce au fameux "système des garanties".


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Un système financier secret et sophistiqué

À l’origine de ce système, il y a eu la mise en place par les maisons internationales de ventes aux enchères d’engagements vis-à-vis de propriétaires d’œuvres d’art de grande valeur, de manière à les attirer comme clients en leur assurant la vente de telles œuvres pour un prix minimum garanti. Ainsi, le vendeur est assuré de vendre son œuvre à un prix minimum garanti par la maison de ventes, tout en conservant l’espérance d’un prix supérieur qui pourrait être atteint sous le feu des enchères et des projecteurs.

Ce système de vente à prix minimum garanti, mis en place notamment par les deux grandes maisons de ventes qui dominent le marché, a amené de grands collectionneurs à mettre en vente des œuvres exceptionnelles, qu’ils possédaient sans le risque mortel pour de telles œuvres de ne pas trouver d’acquéreur, puisque dans tous les cas, la maison de ventes s’engage à leur acheter leurs œuvres à un prix minimum garanti.

Mais ce système de garanties s’est avéré parfois dangereux, il est même devenu le talon d’Achille de ces grandes maisons de ventes. En effet, s’il leur a permis de distancer tous leurs autres concurrents, cela leur a fait courir des risques gigantesques pour s’assurer de la vente des artistes les plus recherchés [Picasso, Monet, Matisse, Gauguin, Van Gogh etc…]. La concurrence féroce qui règne entre ces maisons de ventes les a conduites à augmenter constamment le montant des garanties accordées à leurs vendeurs.


Le ménage à trois

Devant cette course effrénée qui pouvait mettre en péril mortel ces maisons de ventes, celles-ci ont mis en place, après la crise financière des subprimes de 2008, un nouveau système de garanties faisant intervenir une troisième personne trouvée par la maison de ventes, non en raison de son amour et de sa passion de l’art, mais avant tout pour son amour de l’argent et de la spéculation.

Alors comment s’opère ce ménage à trois ? La maison de ventes continue à garantir au vendeur un prix minimum pour son œuvre qu’il accepte de lui confier pour la vendre aux enchères, mais elle partage (ou rétrocède) ce risque de garantie de prix avec un financier qui espère en contrepartie partager une éventuelle plus-value avec le vendeur si les enchères dépassent le prix qu’il a accepté de garantir.


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Un système qui s’appuie sur les grands noms

Ce nouveau système explique en grande partie la mise sur le marché récente d’œuvres très recherchées de Léonard de Vinci, Picasso, Monet, Rothko, Basquiat, Modigliani, et la semaine passée Hockney… et surtout les prix impressionnants atteints par ces œuvres. C’est ainsi que, par exemple, un tableau de Modigliani a été adjugé en mai 2018 pour un montant de 157,2 millions de dollars en bénéficiant d’une garantie de prix autour de 125 millions de dollars, montant correspondant à la première enchère enregistrée lors de cette vente.

De même, il y a quelques jours à Londres le tableau de David Hockney intitulé The Splash et qui a attiré l’attention de toute la presse, aurait été vendu en bénéficiant de ce même système de garanties pour 27,5 millions d’euros, juste au-dessus de son estimation basse de 20 millions de livres sterling. Selon Bloomberg, la toile était mise en vente par le milliardaire de Hong Kong, Joseph Lau, qui l’avait achetée en 2006 chez Sotheby’s pour 2,9 millions de livres sterling. The Splash faisait partie d’une série de onze lots garantis par un tiers.

Patrick de Watrigant, Docteur en droit