Cette semaine nous posons notre loupe sur une œuvre de Camille Pissarro avec un titre long et bien précis : "Dieppe, bassin Duquesne, marée basse, soleil, matin".
Dieppe, bassin Duquesne, marée basse, soleil, matin, Camille Pissarro, 1902, Musée d'Orsay
Une vue du port de Dieppe prise « sur le motif »
Cette huile sur toile de 54 x 65 cm représente une vue du port de pêche de Dieppe : le Bassin Duquesne. Camille Pissarro affectionnait particulièrement ce genre de vue plongeante réalisée sur le motif.
Ici, on peut admirer l'effervescence du port de Dieppe, ce paysage lui permet même de se réinventer dans sa peinture et de trouver un sujet assez nouveau.
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Une port partagé entre révolution industrielle et plaisance
Ce port met en opposition des navires à voiles destinés à la plaisance ou à la pêche à des ferrys partant pour l’Angleterre. Ainsi, Pissarro réussit à saisir une image de la révolution industrielle, tout en lui conférant un caractère paisible. Les vapeurs viennent se mêler à la vie des habitants de la ville, comme en témoigne le groupe et la charrette au premier plan.
La marée comme métaphore
Les différents bassins du port se vide et se remplissent avec la marée pour permettre aux bateaux de stationner, ce phénomène fascine Camille Pissarro. Cela lui offre de multiples possibilités pour peindre des scènes totalement différentes. C’est d’ailleurs pour cela que Camille Pissarro précise dans le titre de l’œuvre : "marée basse, soleil, matin".
Dans cette œuvre, Pissarro représente le port à un moment où le niveau de l’eau n’était pas très important. On peut y voir une sorte de métaphore où la nature serait en train de disparaître au profit du monde industriel. La position des personnes en avant-plan conforte cette idée, c'est comme s’ils étaient en pleine interrogation sur l’avenir du monde.
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Camille Pissarro et Dieppe
Il faut savoir dans quel contexte Pissarro a réalisé cette œuvre. En effet, il apprécia énormément ses précédents passages dans le port de Rouen et les œuvres issues de ces séjours. Ce succès pictural et ses amitiés l’ont amené à passer ses vacances estivales de 1899 et 1900 à Varengeville et à Berneval. Ce sera l’année suivante qu’il se rendra pour la toute première fois à Dieppe, il s’y rendra même deux années de suite.
Au sujet de Dieppe, il écrira : « Dieppe est un endroit admirable pour un peintre qui aime la vie, le mouvement, la couleur. J'y ai des amis, et je connais les motifs que j'aimerais faire ». Il louera une chambre sur le port pour pouvoir balayer le paysage du regard et composer au gré de ses envies et de ses émotions.
Une passage à Dieppe réussi
Cette œuvre est donc issue d’un voyage réussi à son goût, à ce sujet, il ajoutera : « Mes motifs sont très beaux, la Poissonnerie, l'avant-port, le port Duquesne, le Pollet, par la pluie, le soleil, les fumées ».
Camille Pissarro tente de capter les effets atmosphériques qu’amènent les trains qui se déversent sur le port, ainsi que la vapeur des ferrys. En fait, cette ville fut un véritable carrefour de voyageurs et de marchandises, on sait que Pissarro au cours de l’année de réalisation de cette œuvre (1902) sera très productif.
Lors de son passage à Dieppe, il réalisera pas moins de vingt toiles en seulement de trois mois.
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Une peinture impressionniste
Cette peinture de Pissarro est tout à fait représentative de son époque et du mouvement impressionniste. C’est une vue en extérieure croquée sur le moment, elle présente un ressenti sur un lieu et une situation donnée. Le peintre se l’approprie afin de dresser sa vision et son ressenti.
Le contexte du développement industriel et des déplacements de personnes est bien présent, Pissarro agit comme un témoin d’une époque charnière de notre civilisation. Il réalise un tableau assez photographique, mais qui fait abstraction de contours pour laisser place à l’imaginaire.