De nos jours, Jean-Michel Basquiat est régulièrement associé à la culture hip-hop. Alors, est-ce une association légitime ou faisons-nous passer Basquiat pour un porte-drapeau qu’il n’a jamais été ?

Les liens que Basquiat a pu entretenir avec cette culture sont assez complexes. Découvrons ensemble comment Basquiat est devenu l'une des grandes icônes du hip-hop.

Art Shortlist
par Thibault de Watrigant - 21 mai 2020

Sommaire

  • Définition du hip-hop
  • Basquiat et le hip-hop
  • Basquiat, membre du groupe Gray
  • Fab 5 Freddy, l’homme qui lui fit découvrir le hip-hop
  • Basquiat et la danse
  • Du hip-hop dans son processus créatif : le "sampling pictural"
  • L’utilisation de la punchline dans son art
  • RZA, le Wu-Tang et Jean-Michel Basquiat
  • Une façon de travailler proche du hip-hop
  • Basquiat, véritable icône du hip-hop à Brooklyn
  • Les hommages à Basquiat dans le hip-hop


Définition du hip-hop

Avant toute chose, définissons ce qu’est le hip-hop, comment est-il apparu ? 

Ce mouvement culturel et artistique est apparu dans les ghettos noirs et latinos de New York au début des années 1970. Des rassemblements ont largement participé à sa propagation : les blocks parties. Ces fêtes en musique se déroulaient en présence de plusieurs DJ, qui mixaient les morceaux à succès du moment, provenant de différents genres musicaux : la soul, le funk, le disco et le rock. 

Le père du mouvement se nomme DJ Kool Herc, d’origine jamaïcaine, il se lance dans la musique pour oublier la violence des gangs, et pour tenter de pacifier son ghetto. Le but premier du hip-hop n’a jamais été d’être commercial. Le hip-hop à l'origine, était un mouvement qui délivrait des messages de paix, d’unité et de partage. 

Il faut noter que le hip-hop a vraiment commencé à se propager dans le monde à partir des années 1980. Des artistes et des groupes légendaires ont largement contribué à son rayonnement international, par exemple : Run DMC, LL Cool J, A Tribe Called Quest, Eric B. and Rakim, KRS-One, EPMD, Slick Rick, Beastie Boys, De La Soul et Public Enemy.


Le hip-hop est composé de 5 disciplines, ce sont ses 5 piliers fondamentaux :

  1. Le Rap : il est le rétroacronyme de "rhythm and poetry". En français, on le défini aussi par les trois B : Bavarder, Baratiner, Blâmer. Le Rap est une forme d’expression vocale qui est accompagnée de rythmes que l’on nomme les "beats". Le rappeur est qualifié de "MC" : Master of Ceremony.
  2. Le Beatboxing qui signifie bruitages rythmés avec la bouche. Il peut venir accompagner un MC lors de sa prestation. Cela reste malgré tout une discipline à part entière qui relève d’une agilité de la bouche assez impressionnante.
  3. Le Graffiti que nous ne présentons plus tant il fait partie de la culture contemporaine.
  4. La Danse avec des mouvements comme le Breakdance, ou l’Electric Boogie. Les danseurs sont appelés les "B-Boys". Toutes ces appellations techniques démontrent la richesse culturelle du hip-hop.
  5. Le Djing est l’art de mixer des vinyles sur des platines et la création de beats. Cette discipline comprend : le Scratch et le Beatmaking. Le premier cité est de l’ordre de la performance, dans la mesure où le DJ improvise avec des disques qu’il a sélectionné, afin de les faire tourner à sa façon. La seconde relève de la création d’instrumentales, le fameux "beats", qui sera ensuite enregistrée afin d’en faire une boucle sur laquelle un MC pourra venir placer sa voix, et de ce fait enregistrer un morceau complet de rap.


Basquiat et le hip-hop

Pez Dispenser, Jean-Michel Basquiat, 1984

Rappelons que Jean-Michel Basquiat est né en 1960, il avait donc un peu plus de 10 ans lorsque le hip-hop est apparu comme une culture populaire dans les ghettos. Basquiat a pratiqué au moins quatre disciplines sur les cinq cités précédemment. La seule discipline sur laquelle on ne peut avoir aucune information est la pratique du Beatboxing. Pour les autres, nous disposons d'éléments pour affirmer que Jean-Michel a été l'un des acteurs du hip-hop.


Basquiat, membre du groupe Gray

La pratique du graffiti que Jean-Michel Basquiat a eue en 1979 l’a amené à découvrir la culture hip-hop dans son ensemble. La formation du groupe "Gray", qui vient de la rencontre de Basquiat et d’un certain Michael Holman, a été déterminante dans sa vie de musicien. Le destin fit que Basquiat le rencontra à une soirée et qu’ils décidèrent de monter ce groupe sur un coup de tête. Précisons qu’aucune de ces deux personnes ne savait jouer d’un instrument à ce moment-là...

Ce groupe a connu quelques changements de nom, le premier était : "Channel 9", ensuite, il s’est rebaptisé : "Test Pattern" pour finir par s’appeler "Gray". De nouveaux membres s’y sont ajoutés au fil du temps, la liste complète des membres du groupe comprend : Jean-Michel Basquiat, Michael Holman, Wayne Clifford, Nick Taylor et Felice Rossen.

Le groupe Gray a réalisé des mélanges sonores assez bruyants, à l'aide de sons électroniques et des bruitages improvisés. Si l’on devait donner un style à cette musique, on pourrait dire qu’elle reprend le chaos du punk et les folles improvisations du jazz si cher à Basquiat. Ainsi, Basquiat réalisera des improvisations à la flûte traversière et sur la table de mixage.


Fab Five Freddy, l’homme qui lui fit découvrir le hip-hop

Fab Five Freddy

Fab Five Freddy fut la personne clef qui amena Basquiat à adhérer au mouvement musical du hip-hop. Cette adhésion s’est faite progressivement, mais quand il a commencé à être passionné, il a tout donné pour cette culture. Notons aussi que Michael Holman a eu un rôle clef dans la diffusion du hip-hop, car il a permis à un jeune artiste du nom d’Afrika Bambaataa de rencontrer l’un des plus grands producteurs de l’époque : Malcolm McLaren. Afrika Bambaataa est depuis devenu une légende du hip-hop, en reprenant des musiques de la pop allemande pour faire ses beats, il excelle dans l’art du djing. McLaren, son producteur, avait mis en lumière les Sex Pistols, avant de tomber amoureux du hip-hop. La musique pop est omniprésente dans les boucles de Afrika Bambaataa, un homme très mystérieux auquel on attribue la paternité du hip-hop au même titre que DJ Kool Herc et Grandmaster Flash.

Le groupe Gray n’a existé que de mai 1979 à août 1980, mais ce groupe a permis à Basquiat de se montrer sur scène comme un grand danseur, DJ et chanteur. De plus, il jouait régulièrement au Mudd Club, la boîte de nuit où il rencontra Madonna. Le Groupe réalisera quelques albums, le plus notable se nomme : Shade of.

Une grande amitié entre Basquiat et Fab Five Freddy s’installa. Fab était caméraman pour une émission de télévision "TV Party" en compagnie de Glenn O’Brien, émission à laquelle Basquiat était régulièrement convié. Cela eut pour effet de propulser Basquiat au-devant de la scène.

Basquiat fut repéré pour jouer dans un film, qui à l’origine se nommait "New York" en 1980. Finalement, il ne sortit qu’en 2000 sous le nom de Downtown 81. Ce film s’inspire de la vie de Basquiat, le héros étant joué par Basquiat lui-même. Il vagabonde dans les rues de New York, à la recherche d’argent et de reconnaissance du monde artistique. On le voit se faire expulser par son logeur qui refuse d’accepter une de ses toiles en échange d’un loyer. Ce film est une grande réussite cinématographique et Basquiat s’avère être un grand acteur. On doit remarquer que la bande son du film est en grande partie issue des musiques du groupe Gray. 

Fab Five Freddy est donc une des personnes clefs dans sa réussite artistique. Il est un des premiers à avoir cru en lui. Les expériences s’enchainèrent donc pour Jean-Michel, par l’intermédiaire de O’Brien et de l’émission TV Party. Il fit la connaissance du groupe de rock Blondie et se retrouva associé au clip du titre Rapture.

Fab Five Freddy a eu un autre rôle important dans la vie de musicien de Basquiat, il lui a fait connaître : Rammellzee, un autre artiste avec lequel il composera des instrumentales, comme celle de la musique : Beat Bop en 1983, preuve que Basquiat ne cessa jamais d’aimer la musique. Par cette musique, Basquiat participe à remettre en chanson les idées qu’il véhicule sur ses toiles : la mise en avant de ses héros, une révolte maîtrisée contre les injustices socio-raciales. Rammellzee est dans cette musique le MC accompagné de K-Rob. Cette musique a un fond à la fois méditatif, mais aussi revendicatif, à écouter sans modération !


Basquiat et la danse

Sa créativité en matière de hip-hop ne s’arrête pas là, Basquiat est aussi un danseur de talent qui sait inventer des chorégraphies et se produire en public. Il le faisait principalement au Mudd Club à New York, la boîte de nuit où il fallait être au début des années quatre-vingt. On pouvait y entendre des musiques expérimentales, de la new wave, c’était le lieu des créations et des nouveautés. Basquiat s’y rendait régulièrement accompagné de son ami Keith Haring. C’est en cela que Basquiat est un des modèles du hip-hop. 


Du hip-hop dans son processus créatif : le sampling pictural

Grillo, Jean-Michel Basquiat, 1984

La comparaison que l’on peut faire entre l’art de Basquiat et le hip-hop est la suivante : à ses débuts, il utilise une photocopieuse, des crayons et du papier, tandis que le hip-hop utilise un caisson de basses, deux platines et un micro. Le talent de Jean-Michel lorsqu’il réalise des œuvres au début de sa courte carrière d’artiste est le même que celui d’un DJ qui joue avec ses platines. Ce dernier prend des éléments déjà existants pour réaliser une performance. Comme un DJ, Basquiat compose avec tous les éléments qui lui sont propres et qui l’inspirent pour réaliser une œuvre. 

Il est maintenant temps d’aborder ce qui rapproche l’art pictural de Basquiat du hip-hop, que ce soit sur le fond ou la forme. Tout d’abord revenons sur le "sampling pictural", cette méthode qu'utilisait Basquiat dans ses œuvres. Il composait ses œuvres avec des éléments provenant de divers horizons, il rendait des hommages permanents par le biais de la peinture. 

La technique du collage que Basquiat utilisait en grande majorité, est ancrée dans sa pratique artistique jusqu’à sa mort, c’est pour cela que l’on peut aisément considérer Basquiat comme un des plus grands défenseurs de la culture hip-hop et de son mode opératoire. 


L’utilisation de la punchline dans son art

Florence, Jean-Michel Basquiat, 1983

Il reprend aussi un principe bien connu dans le rap : "la Punchline". La punchline est une phrase ou une succession de phrases, avec ou sans rimes, qui amène le rappeur à passer un message fort, à faire rire, à réaliser une comparaison ou une métaphore. C’est en quelque sorte l'un des points culminants d’une chanson, il peut donc y en avoir plusieurs dans une seule et même chanson.

Dans son art, Basquiat reprend ce principe de punchline en comparant des éléments de monde différents : BD, musique, film, personnages qu’il a inventés. Le message qu’il fait passer fonctionne et provoque la même émotion qu’une punchline de rap. Peut-être sans le vouloir, Basquiat fait un "hip-hop pictural", ses rythmes sont contrôlés, la composition est généralement vive et chargée en sens, les mots sont "crachés" sur la toile. 


RZA, le Wu-Tang et Jean-Michel Basquiat

On compare souvent RZA à Basquiat. RZA est un rappeur du groupe légendaire de hip-hop : le Wu-Tang Clan. RZA manie les mots avec une grande maîtrise, ses textes sont profonds et aboutis, il élimine les voyelles de certains mots ce qui donne des sonorités assez nouvelles. Basquiat le fait aussi dans ses peintures. 

Autre point de comparaison chez ces deux hommes, l’influence des comics, ils sont omniprésents dans leur art respectif. Le Wu-Tang Clan a su inventer un monde autour de leur mouvement musical, celui-ci s’inspire d'histoires de shaolins asiatiques. Les membres se considèrent comme des combattants d’une cause, avec des travaux à accomplir au bénéfice de cette musique. Ce mouvement originaire lui aussi de Brooklyn et de Staten Island va plus loin que la musique, il est un art de vivre. Le Wu-Tang a une place particulière dans le cœur des passionnés, puisqu’il est considéré comme le meilleur groupe hip-hop de tous les temps. Il existe depuis 1992 et il est toujours actif.


Une façon de travailler proche du hip-hop

In Italian, Jean-Michel Basquiat, 1983

Un témoignage très rare sur la façon de travailler de Basquiat a été réalisé par son assistant en 1981, un certain Stephen Torton : « Quand il peignait, il ne respirait pas, il allait jusqu’à l’extrême possibilité de ses forces et il se précipitait à la fenêtre et aspirait l’air ». Cette citation est très intéressante et est à mettre en relation avec certains MC qui débitent des paroles sur une chanson jusqu’à arriver au bout de leur capacité. L’usage que fait Basquiat de l’air est très métaphorique, on peut imaginer qu’il va chercher dans l’air, une source d’inspiration, un jeu de mots qui lui convient très bien. 

Autre citation de Stephen Torton sur laquelle nous pouvons nous attarder : « Il était sûr de son art, mais pas de lui-même ». Ici, Stephen Torton fait référence aux problèmes qu’avait Basquiat avec son père et leurs relations compliquées, l’art en général était finalement le seul domaine où il se sentait heureux et en parfaite harmonie avec ses valeurs et envies. Finalement, Basquiat réalise une synthèse parfaite entre l’art pictural, la performance et la musique.


Basquiat, véritable icône du hip-hop à Brooklyn

Basquiat est sans aucun doute l’un des porte-drapeau du mouvement hip-hop, adulé par les puristes, il est cité comme une référence. De nombreux artistes le situent comme un modèle à suivre et même comme un dieu.

Il faut savoir que de nombreux grands rappeurs proviennent de Brooklyn : Mos Def, Talib Kweli, Notorious BIG, la plupart des membres du Wu-Tang, Krs-One qui est l’un des chefs de file du rap dit conscient ou politique, AZ, et bien d’autres.


Les hommages à Basquiat dans la culture hip-hop

Basquiat a été et reste une grande source d'inspiration pour Brooklyn. Le rappeur Jay-Z, star planétaire, est né à Brooklyn, il est un grand collectionneur des œuvres de Basquiat, il a une estime sans limite pour lui. Basquiat est un véritable modèle de réussite. Une de ses chansons lui rend un grand hommage, elle se nomme Most Kingz ; elle est là pour rappeler la puissance de son art et son succès. Il associe Basquiat à Malcom X, Martin Luther King, Notorious BIG, 2Pac, qui sont tous de grandes gloires afro-américaines et des modèles de réussite. Dans une interview, Jay-Z dira que Basquiat était un homme droit qui n’a jamais changé son art malgré son succès précoce ; il aura été un talent constant à ses yeux. 

Une autre musique sortie en 2017 par le beatmaker Apollo Brown est un hommage implicite à Basquiat ; elle se nomme Basquiat on the draw. Cet artiste pratique une musique qualifié de "Old-school", car il reprend des sonorités et des bases des années 1990. On peut entendre le grain du vinyle, il n’utilise pas de musique électronique, il ne trafique pas non plus le son des voix. Il fait comme Basquiat, il rend des hommages aux héros du rap de son enfance et tente de sublimer cette discipline pour laquelle il se dévoue pleinement. 

C’est surtout ce hip-hop conservateur qui prend Basquiat en héros, mais pas seulement comme nous allons le voir dans l’exemple suivant. Un rappeur et producteur plus contemporain du nom de Swizz Beatz, il est aussi connu pour être un grand collectionneur d’œuvres de Jean-Michel Basquiat et de Keith Haring. Pour en savoir plus sur Swizz Beatz, retrouvez notre article 4 collectionneurs d’art contemporain à suivre, Swizz Beatz figure dans cette liste.


Pour conclure

On se rend compte qu’aujourd’hui réussir dans le hip-hop, c’est vendre des albums, être reconnu sur les réseaux sociaux, peser financièrement, mais aussi avoir les moyens (et le goût) d'accrocher un "Basquiat" à son mur. C’est donc un but avoué de toute une génération hip-hop qui n’a plus que Basquiat dans les yeux. Il est le symbole de cette génération hip-hop.

Il suffit de taper "Basquiat hip hop" sur Internet pour se rendre compte de son importance et de sa reconnaissance dans le milieu. Jean-Michel Basquiat est incontestablement le premier lien entre l'univers de la peinture et la culture hip-hop, le street art étant l'un des fruits de ce premier mariage.