En mars 2021, Christie’s adjugait une œuvre numérique de Beeple pour 69,3 millions de dollars. Du jour au lendemain, une idée folle s’est répandue dans le monde entier : l’art venait d’entrer dans une nouvelle ère.

Le JPEG devenait un chef-d’œuvre, la blockchain devenait un certificat, et toute une génération découvrait un marché qui promettait de réinventer la notion même de valeur. Médias, célébrités, investisseurs, maisons de vente, start-up : tout le monde semblait y croire.

Mais aujourd’hui, les chiffres parlent. Les NFT ne valent plus grand-chose, les plateformes se sont vidées, et les projets autrefois "révolutionnaires" dorment dans un cimetière numérique.

Alors, que s’est-il vraiment passé ? Pourquoi ce mirage collectif a-t-il pris une telle ampleur ? Et que reste-t-il, aujourd’hui, de cette vague qui prétendait changer l’histoire de l’art ?

Art Shortlist revient sur un phénomène aussi fulgurant que fragile. Récit d'un crash sans précédent.

Art Shortlist
par Art Shortlist - 17 novembre 2025

1 - 2021 : la naissance d’une hype mondiale

L’explosion commence avec la vente de Beeple. Christie’s, symbole du marché traditionnel, ouvre la porte à un "nouveau" monde.

Instantanément, tout s’emballe : des milliers de collections NFT apparaissent, des plateformes dédiées explosent, les médias s’extasient, les marchés s’enfièvrent.

Les célébrités alimentent aussi cette frénésie. Snoop Dogg se proclame collectionneur. Neymar achète des NFT à prix d’or. Paris Hilton entre aussi dans la danse et pense que les NFT sont l'avenir de l'art.

Un tweet de Neymar en janvier 2022

Le marché de l’art, d’ordinaire prudent, suit. Les maisons de vente organisent des ventes spéciales. Les galeries NFT ouvrent partout.

Dans le métaverse, des "musées numériques" émergent.

On ne parle plus d’art. On ne parle plus de création. On ne parle plus d’esthétique. On parle d’argent. De gains faciles. De courbes qui montent. D’une "révolution" que personne ne veut rater.

Les promesses sont là. Le storytelling est parfait. L’emballement est total.


2 - La grande promesse : transparence, rareté, révolution

Derrière la hype, la blockchain pouvait enfin résoudre le problème numéro un du marché de l’art : la provenance.

Les NFT promettaient : un certificat numérique inviolable, une histoire complète de l’œuvre, traçable à vie, une transparence totale sur les propriétaires, des royalties automatiques pour les artistes.

Une utopie technologique, parfaitement adaptée au discours du moment : la blockchain allait réparer un marché opaque.

Kevin McCoy, pionnier du mouvement, résumait ainsi l’idée en 2014 : « Il fallait un moyen de garantir qu’un fichier numérique pouvait être rare et unique. »

Sur le papier ? Difficile de ne pas être séduit. Dans la réalité ? C’est une autre histoire.


3 - La réalité : spéculation pure et absence d’art

Très vite, les NFT cessent d’être un outil. Ils deviennent un jeton spéculatif. Des milliers de collections sans âme saturent le marché. Des images générées à la chaîne. Des projets copiés-collés.

Des promesses extravagantes : "achète maintenant", "tu deviendras riche", "ne rate pas la prochaine pépite". La logique artistique disparaît ; la logique du casino s’installe.

Les chiffres sont vertigineux : 2021 : 24,7 milliards de dollars - 2022 : 12,6 milliards - 2023 : 1,6 milliard (Source : DappRadar) En deux ans, un effondrement de 93,5 % du marché mondial des NFT. L’intérêt du public s’évapore aussi vite.

Symboliquement, le cas du premier tweet de Jack Dorsey est devenu emblématique : acheté 2,9 M$, revendu 14 000 $ l'année suivante.

Les musées NFT ferment. Les galeries NFT ferment. Les visiteurs désertent les expositions virtuelles. La bulle avait déjà éclaté.


4 - Le crash : quand la hype tourne au fiasco

"Bored Ape Yacht Club" l’une des collections les plus célèbres a perdu plus de 80 % de sa valeur.

OpenSea, qui concentrait 90 % du marché, licencie 50 % de ses équipes en 2023.

Les forums autrefois hystériques se vident. Les discords deviennent silencieux. Les promesses s’effondrent, les illusions s’évaporent.

Et la justice s’en mêle. La SEC poursuit plusieurs célébrités : Lindsay Lohan, Soulja Boy, Ne-Yo, Akon, Jake Paul. Logan Paul est visé par une plainte collective après l’affaire CryptoZoo.

La bulle n’était pas seulement artistique ou financière. C’était un phénomène culturel, psychologique, presque anthropologique. Et comme toutes les bulles, elle s’est écrasée au moment même où elle semblait invincible.


5. Ce qu’il reste : l’outil, pas la hype

Les NFT en tant que "marché" ont échoué. Mais tout n’est pas à jeter. La blockchain reste un outil prometteur pour la traçabilité des œuvres.

Imaginons un monde où : chaque œuvre reçoit un certificat numérique infalsifiable, chaque revente ajoute un nouveau propriétaire à l’historique, toute la vie de l’œuvre est visible, transparente, les faux deviennent beaucoup plus difficiles à faire circuler.

Ce n’est pas une révolution. Ce n’est pas de l’art. Mais c’est un outil technique qui pourrait, s’il est bien utilisé, renforcer la confiance dans un marché qui en manque souvent.


Conclusion : Ce que les NFT disent vraiment de nous

Les NFT n’ont pas échoué parce qu’ils étaient numériques. Ils ont échoué parce qu’ils étaient vides. Dans 99 % des cas, une NFT n’est pas une œuvre.

Ce qui restera de cette période, ce n’est pas la hype ou les millions. C’est une leçon : l’art ne se remplace pas, ne se copie pas, ne s’invente pas par magie. La technologie peut aider. Mais elle ne crée pas la valeur artistique. Elle ne la remplace pas. L'art n'est pas automatisable, il doit venir du cœur et avoir une âme pour toucher le public.


Pour aller plus loin

Art Shortlist a consacré une analyse complète en vidéo à cette question : une enquête sur la montée, la chute et l’héritage des NFT dans le monde de l’art.