En novembre 2019, Venise a subi sa plus importante acqua alta depuis 1966. Les dégâts sont considérables, Venise est de plus en plus souvent submergée par les eaux. Vénitien de cœur, y ayant vécu pendant plus de 6 mois, j’ai eu l’occasion de mieux comprendre ce qu’endure la cité de Doges au quotidien. J’ai décidé de vous expliquer les problèmes que Venise affronte et d’imaginer des solutions pour la sauver du naufrage.
Le tourisme de masse, un véritable fléau
Autour de la Place Saint-Marc, les petites rues sont bondées, une nuée de touristes suit un parapluie levé vers le ciel, on peut entendre des « scusa » provenant de personnes pressées souhaitant avancer, aller travailler ou tout simplement vivre. Voici le type de scène auquel j’ai assisté au cours de ces six mois à Venise. Au départ, on peut en rire, se dire que ce n’est qu’une personne énervée, vexée, fatiguée, levée du mauvais pied, mais en fin de compte, on comprend que le malaise est profond…
Les Vénitiens sont « une espèce en voie de disparition » sur la lagune, la pression immobilière en est la première responsable. Les habitants doivent s’exiler vers Mestre et ses alentours, les dizaines de générations qui se sont succédé sur ce magnifique territoire sont forcées de quitter leur ville de cœur, qui ne compte plus que 28 000 habitants à l’année. Ce phénomène devient exponentiel puisque les loyers augmentent continuellement et que les quartiers deviennent des dortoirs, les locataires changent perpétuellement, les locaux ne connaissent plus leurs voisins, cette situation devient irrespirable pour les Vénitiens.
En conséquence, la vie sur place est bouleversée sur tous les plans : les commerces de proximité comme les drogueries, magasins de bricolage, magasins pour la maison disparaissent au profit de magasins de bonbons vendus au poids, de masques vénitiens et de verres de Murano made in China. La plupart des restaurants s’alignent sur ce schéma en proposant une cuisine souvent de faible qualité à un prix fort. Les propriétaires d’appartements sont terriblement incités à les louer tant ces derniers peuvent devenir lucratifs. Moins de commerce, moins d’habitants, des loyers extrêmement chers, voici tous les ingrédients qui n’annonce rien de bon pour l’avenir de Venise. Nous allons voir que d’autres phénomènes sont en train de peser sur la survie physique de la ville.
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Vers une acqua alta définitive ?
Le Grand Canal, un jour d'épais brouillard
Venise a subi le 12 novembre 2019, la deuxième plus grosse montée des eaux depuis que les relevés de marée existent. La première a eu lieu en 1966, avec une marée qui était montée à 1,94 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette année, elle est montée à 1,87 mètres ! Notons aussi que cette acqua alta a inondé la ville sur plusieurs jours consécutifs, à l’heure à laquelle je vous parle ce n’est pas encore fini. Les dégâts s’élèvent déjà à plus d’un milliard d’euros, un Vénitien a même perdu la vie en s’électrocutant dans son appartement. L’heure est donc à la désolation face à ces bouleversements climatiques. Ces dernières années, les villes côtières ou construites sur l’eau cristallisent toutes les inquiétudes. La montée des eaux est bien réelle, Venise doit-elle attendre d’être ensevelie ?
Au cours de mes 6 mois de vie à Venise, j’ai connu deux acqua alta. Le quartier où je vivais, Cannaregio, considéré comme le plus protégé par la montée des eaux, car le plus haut de la ville, a été enseveli comme les autres. À titre d’exemple, mes voisins avaient prévu ces problèmes d’inondation en achetant une pompe à eau, afin de vider leur appartement d'une eau sale et malodorante.
Le plafond de la basilique Saint-Marc
La Basilique Saint-Marc, magnifique n’est-ce pas ? Sachez qu'elle est en tête des monuments les plus menacés. Elle dispose d’un sous-sol qui se situe sous le niveau de la mer, ce dernier est absolument sublime, mais il subit quasiment à chaque acqua alta, des inondations dévastatrices jouant sur les fondations et la structure de l’édifice. En outre, les sous-sols possèdent des carrelages en mosaïque qui ne supportent pas d’être exposés à l’eau salée pendant de longues heures. Imaginez l’impact du sel sur le long terme avec ces inondations à répétition, il y urgence !
Une rue de Cannaregio au début d'une acqua alta
Venise étant située sur l’eau, elle subit un fort taux d’humidité, avez-vous déjà tenté de faire sécher du linge à Venise ? D’expérience je peux vous le confirmer, c’est très difficile. L’humidité a un impact assez dramatique sur les bâtiments vénitiens qui suite à des fortes pluies, s’effritent et on peut assister à des chutes de pierres impressionnantes. J’ai un souvenir assez précis, d’un matin où je marchais dans une petite ruelle et tout d’un coup, paf, un bloc de pierre tombe à moins d’un mètre de moi…
Le manque de moyens mis en œuvre pour préserver la ville est assez consternant, des millions de touristes s’y pressent chaque année, mais visiblement l’argent que cela amène n’est pas utilisé à la conservation de ce bijou. Bien sûr, il existe des initiatives remarquables comme le Comité Français pour la Sauvegarde de Venise.
Je ne vous propose pas de créer une cagnotte sur Internet pour sauver Venise, mais je crois que ce devrait être une des priorités en matière de conservation du patrimoine du ministère de la culture italien et de l’union européenne. Notons tout de même que les problèmes de Venise sont totalement liés aux bouleversements climatiques de ces dernières années.
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Les bateaux de croisière, la goutte d'eau qui fait déborder le vase
Nous avons tous vu cette vidéo datant du 2 juin 2019, où un bateau de la MSC est devenu totalement incontrôlable et s’est encastré dans un quai dans un brouhaha assourdissant. Ce genre d’accident n’est pas lié au hasard, la circulation de ce type de navires est quotidienne dans la lagune. La mairie est complice dans ce juteux business, les compagnies de croisière ont rapidement compris l’intérêt de proposer un passage à Venise pour attirer de nouveaux clients. En effet, les croisiéristes sont systématiquement largués dans le quartier du Castello, à l’extrémité de Venise. Ainsi, des milliers de personnes sont déversées chaque jour pour seulement quelques heures, ce qui engendre des mouvements de foules, insupportables pour les locaux.
Les Vénitiens n’ont pas peur de le dire, Venise est devenue une sorte de parc d’attraction que l’on ouvre le matin et que l’on ferme le soir, ce que refuse de croire toute une frange de la population vénitienne. Un compte Instagram Venise non e Disneyland signale et fait de l’humour sur les dérives quotidiennes qui surviennent sur la Sérénissime. L’humour laisse bien souvent place à la colère, les vénitiens ont d’ailleurs créé un collectif qui se nomme No Grandi Navi, disant non à l’entrée des paquebots dans la lagune, si vous êtes de passage à Venise, vous ne pourrez pas les rater, ils sont fièrement affichés un peu partout aux fenêtres.
Quoiqu’il en soit, pour sauver Venise, il n’y aura pas d’autres solutions que d’interdire le passage de ces bateaux polluants. Les fondations de Venise sont très fragiles, le passage de ces mastodontes fragilise et affaisse considérablement la Cité des Doges, l’heure est grave, il faut agir et vite ! Il ne doit plus être possible de se balader dans Venise et de voir dépasser un bateau au-dessus des toits. Cette vision d’horreur, ne plus être qu’un lointain cauchemar…
Un retour en arrière est-il possible ?
Il faut y croire, mais Venise est comme notre belle planète : menacée. Cependant, elle mérite que l’on prenne soin d’elle. Dans le prochain paragraphe, je vous suggère quelques bouées de sauvetage pour Venise.
Quelques solutions pour sauver la Sérénissime
Une digue pour ralentir les effets des changements climatiques
Une des meilleures idées était en passe d’être réalisée, mais elle est tombée à l’eau en 2014. La construction du module appelé le « MOSE » a été un projet de digue se voulant ambitieux, destinée à protéger la ville de la montée des eaux. Mais ce projet s’est « noyé » au sens propre comme figuré après des années de scandales liés à la corruption.
À l’heure actuelle, 90 % de la structure de cette digue se trouve sous l’eau, comme un symbole, la rouille est en train de se propager dans les écluses ce qui va la rendre totalement inexploitable. Le chantier avait pourtant commencé en 2003, impossible de savoir si ce projet arrivera un jour à terme. Sur le papier, cette idée avait tout pour séduire, mais la mauvaise organisation du chantier et le manque de budget l’ont condamné.
La mise en place d’une plus importante taxe de séjour
Auparavant, d’une valeur de 3 €, la taxe de séjour va passer à 6 € en 2020. Cette taxe sert principalement pour l’entretien de la ville ou le ramassage des ordures. Est-ce suffisant pour sauver Venise ?
Je ne pense pas, cela reste un bon début, il faudrait monter cette taxe de façon importante dans les prochaines années. Si vous êtes un amoureux de Venise, montrez lui que vous l’aimez en n’y allant rarement et lorsque vous y êtes, restez discret pour respecter la vie locale.
Limiter les entrées sur la lagune
Pour sauver Venise, il est indispensable de réduire le nombre de visiteurs qui s’y rendent chaque année. Pour cela, il faudrait créer un système de limitation des entrées sur la Sérénissime. La ville pourrait organiser des tirages au sort par Internet afin de déterminer qui aura la chance de séjourner à Venise et pour quelle durée.
Un plan gouvernemental pour le logement
La ville se vide de ses habitants, et perd petit à petit son âme. Pour stopper l’hémorragie, le gouvernement italien pourrait encadrer les prix de certains loyers et forcer les propriétaires à louer leurs appartements à des personnes résidants à l’année sur la lagune. Ces mesures sont certes difficiles à appliquer, mais elles sont nécessaires pour éviter de voir un jour Venise ne plus compter aucun habitant.
Venise ne doit pas être un paradis perdu, mais un paradis conservé et protégé.